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Christophe et Cécile Amigorena

Comment créer un gin remarquable ?

Article écrit par Stéphane Reynaud, pour le Figaro, le vendredi 3 septembre 2021

Au sein d’une catégorie de spiritueux très à la mode, Christophe et Cécile Amigorena font la différence avec Melifera, un gin créé ex nihilo, local, bio, bon et durable. Qui dit mieux ?

Ils cueillent dans leur champ des fleurs d’immortelles dont ils font du gin, ils trinquent avec les patrons des terrasses et restaurants qui leur achètent leur production. Les amateurs plébiscitent leur breuvage… De prime abord, la vie de ce couple de startuppers des spiritueux, telle qu’ils vous la font découvrir dans l’île d’Oléron, en Charente-Maritime, a des allures de compte de féés économique. Comment Christophe et Cécile Amigorena s’y sont-ils pris pour en arriver là en à peine dix-huit mois ?

Elle est nordiste, experte en marketing et communication, mais aussi artiste peintre. Lui, un tantinet plus senior (millésime 1966), mi-basque, mi-charentais, a grandi à) Cognac. Il pourrait être qualifié de spécialiste en développement à très grande vitesse d’entreprise. Certains l’ont croisé à l’Occitane, où il débarque en 2003 alors que la société est en plein décollage. Il prend vite la direction de la branche étasunienne. Depuis New-York, il fait exploser les ventes de la griffe provençale. Puis, on entend parler de lui chez le géant américain du son, Bose, avant de le retrouver dans la petite maison Devialet, où il est l’un des acteurs du lancement mondial de l’enceinte Phantom, qui va surdoper le chiffre d’affaires de la société. Plut tôt, il fut l’un des fers de lance de la marque glacée Häagen Dazs. C’est même là qu’il rencontre Cécile. « Presque toutes les entreprises et les dirigeants d’entreprise pour qui j’ai travaillé comptent aujourd’hui parmi les investisseurs de notre business », dit-il.

Immortelle oléronaise

Les deux disent que leur nouvelle entreprise fut avant tout un désir de changer de vie. « En 2003 déjà nous avions décidé de nous installer à Cognac. Nous disposions aussi d’une maison dans les dunes, à deux pas de la plage, dans un petit village de Chaucre, dans l’île d’Oléron. Je faisais des allers-retours avec Paris. Mais cela ne pouvait pas durer ». Cette fois est la bonne. Il s’agit bien de prendre racine et s’implanter à Oléron. En décembre 2019, ils déposent les statuts de Melifera, puisent 62 000€ dans leurs fonds propres et se lancent. « Nous avons commencé dans un garage, comme Apple », ose-t-il. Son épouse sourit.

La base, l’âme d’un gin, reste son parfum. C’est l’immortelle oléronaise, plante épicée aux effluves de sable chaud, qui va être l’élément central de la recette. Interdiction de la cueillir dans les dunes, dont la végétation est protégée. « Nous aurions pu nous en procurer ailleurs mais nous avons décidé d’en planter ». Ils achètent un champ de 2 hectares jusque-là dédié à la culture maraîchère, un bout de campagne oléronaise plein de charme, en bordure de forêt. Deux cent cinquante plants d’Helichrysum italicum, à la tige poivrée et mentholée, y donnent le meilleur d’eux-mêmes. Ils vont d’ailleurs augmenter leur production. L’architecte paysagiste Jean-Baptiste Lacombe aménage la parcelle pour qu’elle devienne aussi un lieu de découverte de la flore locale, une sorte de showroom de leur produit. Et puis, aux framboisiers sauvages, ils vont ajouter les genévriers, la gentiane, l’armoise et un tapis mellifère. Au bout du champ, ils vont installer des ruches. Ils militent pour la réintroduction de l’abeille noire, plus résistante (mais un tantinet plus agressive) que l’hybride commune. « Nous travaillons avec le conservatoire de l’abeille noire d’Oléron (CANO) et nous finançons des tests ADN pour vérifier que les ruches d’abeilles noires ne sont pas colonisées par d’autres espèces ». Notons que le nom scientifique de l’insecte est Apis Mellifera, presque celui de l’eau-de-vie. On se demande juste pourquoi ils n’ont pas appelé leur gin « Immortel ». « Le nom était déjà pris, et puis notre juriste nous l’a déconseillé. Ce n’est pas très compatible avec la loi Evin », regrettent-ils.

Dans-les-coulisses-de-la-creation-du-gin-francais-Melifera-bouteille

Les immortelles sont récoltées à la main, coupées à la serpette à cran. Nos deux créateurs sont allés en Corse pour apprendre les bases de ce travail agricole qui casse le dos. Une fois la plante coupée, il s’agit de le faire macérer dans un alcool à 68 degrés pour obtenir les arômes souhaités. Puis de procéder aux assemblages définitifs avec l’alcool de blé issu de la distillerie de Chevanceaux (17).

Quand il ne cueille pas ses fleurs, Christophe Amigorena lève des fonds. Cette année, il a fait appel à plusieurs investisseurs et a réuni plus de 600 000 €, avant d’obtenir 300 000 € de la Banque publique d’investissement. Du sérieux. Melifera semble sur de bons rails. Le design de la bouteille est soigné. On y retrouve les fleurs d’immortelles, la référence à Aliénor d’Aquitaine qui aurait paré sa couronne de fleurs d’immortelle lors de son deuxième mariage, avec Henri Plantagenêt, le phare de Chasssiron, qui marque la pointe nord de l’île. Tout cela est bien pensé, bien marketé. Les dégustateurs apprécient. Melifera s’est vite retrouvé en tête ou en bonne place des classements des meilleurs gins.

Énergie folle

« Mais il ne suffit pas de créer un bon produit et une marque, il faut le distribuer », lâche Amigorena. Il sait bien qu’il ne passe pas une semaine sans qu’un nouveau gin pointe le bout de son bouchon. Il pense que le marché va saturer et que de nombreuses marques disparaîtront. Seuls les meilleurs et les mieux distribués survivront. Melifera est disponible dans bon nombre d’affaires du Sud-Ouest, un peu dans le Sud-Est, chez de très bons cavistes parisiens. Mais les entrepreneurs souhaitent passer à la vitesse supérieure et visent le Royaume-Uni, le marché nord-américain, le Japon… Le couple envie la puissance de feu des grands groupes du secteur et n’exclut pas des rapprochements.

En attendant, les Amigorena nourrissent de nouvelles idées – un deuxième gin devrait voir le jour -, réalisent des collaborations. Leur cocktail à base de gin, de liqueur d’angélique, de salicorne et de champagne mis au point par le restaurant de Christophe Coutanceau, à La Rochelle, est réussi. Les Amigorena voulaient changer de vie. C’est réussi. Mais ils n’ont pas changé de rythme. Lui reste branché sur Waze et parcourt des dizaines de milliers de kilomètres pour présenter son spiritueux. Elle, habituée au rendez-vous dans les bureaux des GAFA, à Palo Alto et ailleurs, doit régler les moindres détails du fonctionnement de l’entreprise familiale. Ils ont une énergie folle. C’est comme ça : le gin rend tonique.

 

Stéphane REYNAUD

LE FIGARO | Vendredi 3 septembre 2021

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